Vue de l'atelier des peintures pendant le traitement de
l'œuvre Sans titre No 38 de Paul-Émile Borduas, vers 1958.
Musée d'art contemporain de Montréal.
Bon nombre de tableaux de Paul-Émile Borduas (1905-1960) posent un grand défi lié à la conservation. Il s'agit en effet d'œuvres célèbres, composées de plages noires sur fond blanc, qui ont en commun d'avoir été réalisées par l'artiste durant son séjour à Paris, de 1955 à 1960. Certaines de ces peintures présentent des détériorations qui se manifestent principalement par trois phénomènes : le jaunissement de la peinture blanche, des craquelures importantes dans les empâtements et des soulèvements dans les plages noires.
En fait, ces phénomènes s'expliquent par une faiblesse intrinsèque des œuvres. On peut en chercher la cause soit dans les produits utilisés par l'artiste, soit dans sa façon de les utiliser. Pendant qu'il était à Paris, Borduas achetait ses matériaux principalement chez un marchand de couleurs très connu, Lucien Lefebvre-Foinet. Il se procurait des toiles tendues sur châssis et déjà enduites d'une préparation blanche. Il s'avère qu'un autre peintre français de cette époque, Pierre Soulages, s'approvisionnait aussi chez ce même fournisseur. Comme dans le cas de Borduas, plusieurs des œuvres de Soulages de cette période présentent des problèmes de soulèvements dans les aplats noirs.
Chez Borduas, ce sont les craquelures de séchage dans les noirs qui causent les problèmes les plus spectaculaires et constituent un défi pour les restaurateurs. Certaines craquelures, d'abord imperceptibles, brisent la couche picturale qui se soulève en plaques.
Le séchage de la peinture à l'huile est lent : une couleur à l'huile appliquée en épaisseur peut prendre plus d'un siècle avant de sécher. De plus, certaines couleurs, comme le noir d'ivoire de Borduas, contiennent plus de liant, ce qui augmente le temps de séchage. On observe d'ailleurs, au revers de plusieurs toiles, des taches d'huile causées par la migration de l'huile de la peinture noire à travers les différentes couches de peinture.
L'importance des œuvres de la période parisienne de Borduas et la gravité des problèmes qui les affectent ont amené les restaurateurs à demander de nombreuses analyses à l'Institut canadien de conservation. Ces analyses renseignent sur les compositions chimiques de la préparation blanche, des pigments et des liants utilisés, des couches de finition ainsi que sur les altérations de ces matériaux. Elles révèlent également l'existence de deux noirs différents chez Borduas. Il est intéressant de constater que sur une même peinture, il existe parfois des plages noires très endommagées, et d'autres qui ne le sont pas. Or, il semble que les dommages affectent davantage un type de noir que l'autre, ce qui pourrait expliquer les raisons pour lesquelles certaines toiles « noir et blanc » de cette période parisienne ne présentent, à ce jour, aucun problème de conservation.
Lorsque la couche picturale d'une peinture se soulève, le restaurateur peut l'assouplir avec un apport de chaleur, pour ensuite rabattre les plaques et les fixer avec un adhésif. Ce type d'intervention donne généralement des résultats satisfaisants, mais dans le cas des plages noires de Borduas, ces traitements se sont souvent avérés provisoires. Le processus de séchage des noirs n'étant pas terminé, les forces de contraction continuent de provoquer des soulèvements, même dans des zones déjà restaurées que l'on voit parfois se soulever de nouveau après quelques mois. Il faudra peut-être attendre la fin du séchage des noirs avant d'espérer des solutions plus durables.
Entretemps, l'évolution des craquelures et les traitements de refixage sont documentés au moyen de relevés sur un plastique transparent. Les interventions seront d'autant plus durables qu'elles sont appuyées par des mesures de conservation préventive permettant d'assurer à ces œuvres un environnement aussi stable que possible.
Date de mise à jour : 14 décembre 2011